Le processus pervers de l'acouphène dans le cerveau
Les acouphènes concernent environ 10% de la population.
Les acouphènes, ou perception sonore sans stimulation extérieure,sont un symptôme fréquent en France : environ 10% de la population adulte en souffre.
Ce symptôme est d’origine multifactorielle et la gêne ressentie est variable selon les patients.
La perception d’un acouphène peut réellement impacter sur la qualité de vie du fait des comorbidités fréquentes qui l’accompagne tels que syndrome dépressif, troubles du sommeil, anxiété, hypoacousie et troubles de la concentration.
Il représente un enjeu de santé publique eu égard aux dépenses qu’il entraîne, par la multiplicité des consultations, des protocoles médicamenteux, des examens inutile réalisés.
En France, La gestion des acouphènes n’est pas standardisée.
Les traitements actuellement proposés dépendent des étiologies retrouvées et consistent le plus fréquemment en une correction auditive par appareillage ou par thérapie sonore, ou bien encore en des thérapies comportementales ou séances de sophrologie, dispensées par des professionnels oeuvrant dans un réseau de soins spécifique.
Il existe, indubitablement de profondes lacunes dans la formation des médecins généralistes concernant cette pathologie. Or il est aujourd'hui acquis que l’accompagnement du malade, notamment par l’écoute et le fait de les rassurer, sont primordiaux en médecine générale, dont l'objectif prioritaire est la prise en charge globale du patient.
Le manque de formation des médecins entraîne un fossé dans la qualité des informations que le médecin doit délivrer à son patient afin d’améliorer la gestion de son trouble.
Ce dernier se retrouve seul confronté à sa pathologie ce qui accroît la détresse dans laquelle il se trouve.
En 2016, 13 290 000 personnes souffriraient d’acouphènes intermittents et 3 980 000 souffriraient d'acouphènes permanents.
Ces chiffres ont été extrapolés à la population française de la tranche d'âge 16/75 ans en fonction du postulat suivant :
- 8,07 % ressentent des acouphènes « fréquemment »
- 26,74 % ressentent des acouphènes « de temps en temps ».
Cette proportion augmente avec l’âge.
Seulement 5 % des 20/30 ans ont déclaré souffrir d’acouphènes alors que c’est le cas chez plus de 12 % des plus de 60 ans.
Cette plus forte prévalence chez les seniors serait liée à la presbyacousie, pourvoyeuse d’acouphènes.
Il est également à redouter que l’écoute de musique amplifiée augmente rapidement cette proportion chez les jeunes.
Il n’existe pas de différence significative entre les hommes et les femmes.
PHYSIOPATHOLOGIE
Un dysfonctionnement, situé en tout point du système auditif, peut engendrer un acouphène qui relève de plusieurs mécanismes physiopathologiques complexes.
En cas de surdité par exemple, l’acouphène a souvent pour timbre celui des fréquences les plus atteintes.
Atteinte du système de transmission
L’altération du système de transmission par atteinte de l’oreille externe et/ou moyenne peut être responsable d’acouphènes. Notons par exemple la modification de l’impédance de la chaîne tympano-ossiculaire ou encore de la mobilité de la chaîne des osselets et de la fenêtre ovale.
1/Atteinte cochléaire
Dysfonctionnement de la synapse glutamatergique entre CCI (cellules ciliées internes) et nerf auditif
Le dérèglement de la synapse glutamatergique entre CCI et nerf auditif semblerait expliquer en partie la production d’acouphènes, notamment après un choc excitotoxique (ischémie et/ou traumatisme sonore).
Rappelons que le glutamate est présent à la base des cellules ciliées internes et agit sur deux types de récepteurs synaptiques :
le récepteur NMDA
le non-NMDA
Il présente l’inconvénient d’être toxique pour les neurones lorsqu’il est libéré en trop grande quantité.
Les traumatismes sonores, la presbyacousie ou encore les ischémies cochléaires entraînent d’une part la libération excessive de glutamate dans la fente synaptique et d’autre part la surexpression des récepteurs NMDA par les neurones auditifs.
Cela se traduit par la destruction de la synapse entre la cellule ciliée interne et le nerf auditif.
La terminaison endommagée du nerf auditif est alors le siège de décharges spontanées interprétées au niveau central comme un son continu ou rythmé.
Cependant les neurones altérés sont capables de créer de nouvelles connexions synaptiques fonctionnelles avec les CCI. Elles ont pour conséquence directe une perturbation fonctionnelle des voies afférentes, donnant des stimulations nerveuses anormales par libération de neurotransmetteurs. Par les nouvelles efférences, la stimulation des récepteurs NMDA alors en plus grand nombre, active les cellules ciliées internes et crée une activité électrique au niveau du nerf auditif, qui pourrait être analysée par le système nerveux central comme un signal provenant d'un son.
L’existence de cette double innervation à la base de la CCI pourrait donc être à l’origine d’une boucle de rétroaction positive et permettrait d’expliquer certains acouphènes périphériques.
Une variante de cette hypothèse synaptique fait intervenir le GABA :
ce neurotransmetteur inhibiteur des synapses glutamatergiques centrales pourrait ne plus jouer son rôle modérateur lors d'un dérèglement des synapses glutamatergiques centrales.
Dérèglement des mécanismes actifs au niveau des CCE (Cellules ciliées externes)
Les cellules ciliées externes amplifient mécaniquement les mouvements de la membrane basilaire en un point précis dépendant de la fréquence. Cette propriété dans la micro mécanique cochléaire, résumée sous le terme générique de mécanismes actifs, permet d’affiner la sensibilité et la sélectivité fréquentielle de la cochlée.
Une partie de l’énergie générée par les mécanismes actifs, non absorbée par la cochlée, peut être captée grâce à un microphone placé dans le conduit auditif externe ; c’est le principe d’enregistrement des oto émissions acoustiques qui peuvent être spontanées ou provoquées par un son.
L’hypothèse principale avancée était alors que les oscillations spontanées des CCE pourraient exciter les CCI qui transmettraient ce « son intrinsèque » aux fibres du nerf auditif puis au cerveau.
Pourtant, loin de refléter un processus pathologique, les oto émissions spontanées sont plutôt le témoin de la bonne santé de la cochlée puisqu’on les enregistre chez 80 % des sujets normo-entendants, et dans l’immense majorité des cas, elles ne sont fort heureusement pas perçues.
L’ensemble de ces données suggère donc que les les oto émissions spontanées ne sont pas la cause principale des acouphènes mais représenteraient pour certains tout de même 5 à 10% de ces causes.
2/Atteinte du système endolymphatique
Une altération de la transmission endocochléaire est possible en cas de variation pressionnelle de l’endolymphe, causée souvent par des dérèglements électrolytiques comme l'hydrops.
3/Atteinte centrale
Tonotopie corticale, ou acouphène apparenté à la douleur du membre fantôme
Toute surdité, quelle qu’en soit l'origine, entraîne une déprivation sensorielle au niveau du cortex cérébral. Le système auditif central va alors développer deux mécanismes adaptatifs :
Il va tout d’abord augmenter son gain (en quelque sorte son système d’amplification interne) et sera donc dans un état d’excitabilité plus important.
Ceci explique également les plaintes d’hyperacousie qui sont très fréquemment associées aux acouphènes.
une réorganisation de la carte tonotopique corticale va s’effectuer :
la zone corticale correspondant à la fréquence affectée n’étant plus stimulée, les neurones corticaux auditifs vont progressivement être stimulés par les neurones codant pour les fréquences adjacentes qui elles sont restées intactes. Ceci provoque une surreprésentation corticale des fréquences encadrant la lésion.
Ces deux phénomènes vont ainsi contribuer à l’apparition d’un son fantôme, qui sera perçu alors qu’il n’est pas présent dans le stimulus sonore.
Le processus pervers de l'acouphène au niveau du cerveau
le signal de l’acouphène est associé à des réactions d’aversion comme l’anxiété ou la peur.
On observe au niveau cérébral l’activation de circuits non auditifs :
- le circuit limbique (notamment impliqué au niveau émotionnel et mnésique)
- le système nerveux autonome (élément clé dans les phénomènes attentionnels et dans la réponse au stress).
C’est par l’activation de ces réseaux cérébraux que la perception de l’acouphène sera maintenue au niveau conscient, et qu’elle sera ressentie comme une sensation inconfortable.
L’intervention de ces réseaux transforme l’expérience sensorielle de l’acouphène en symptôme invalidant.
En somme, plus le patient va écouter son acouphène, plus il va avoir des sentiments de peur et d’anxiété entraînant une augmentation de la détection de l’acouphène au niveau des filtres sous corticaux et donc une activation du cortex auditif.
Les somato acouphènes
Les somato acouphènes se définissent soit comme des acouphènes pouvant être modulés en intensité et/ou en fréquence en manipulant des régions de la face et du cou, soit comme des acouphènes associés à une gêne ou une douleur voire une dysesthésie de la face.
Le système somesthésique regroupe la perception du contact, de la température, de la douleur ainsi que la sensibilité proprioceptive.
Les informations sensitives de la face sont transmises par le nerf trijumeau via le ganglion de Gasser au cortex.
Pour rappel, la cinquième paire de nerf crânien encore appelée nerf trijumeau assure l’innervation sensitive de la face ainsi que d’une partie de la sphère ORL et présente une composante motrice au niveau des muscles masticateurs.
Shore et al ont pu mettre en évidence l’existence de projections du ganglion du trijumeau vers le noyau cochléaire ventral et dorsal et le complexe olivaire supérieur.
C’est au niveau du NCD que les voies auditives et somatosensorielles se rejoignent. Il est donc possible que des messages des récepteurs sensoriels de la face et du cou puissent influer sur l’information auditive. Il s’agit d’une conséquence de la plasticité cérébrale et de l’intégration bimodale dans le noyau cochléaire dorsal (à la fois auditive et somesthésique).
Les acouphènes sont cliniquement hétérogènes dans leurs causes, leurs caractéristiques de perception, et les symptômes collatéraux.
Les patients atteints d’acouphènes se plaignent de frustration, d’agacement, d’irritabilité, d’anxiété, de dépression, d’insomnie, ou encore de troubles de la concentration, de surdité et d’hyperacousie;
ces symptômes sont très pertinents pour déterminer la sévérité des acouphènes et évaluer l’altération de la qualité de vie.
Leur prise en charge permet d’ailleurs souvent d’avoir un effet bénéfique sur la perception de l’acouphène par le patient.
En dehors des troubles anxio-dépressifs, on sait que les acouphènes ont un impact négatif sur la structure du sommeil.
L'insomnie est la plainte la plus importante des personnes acouphéniques. En effet, 60% des acouphéniques gênés décrivent des troubles du sommeil et 65% ont un enregistrement du sommeil perturbé avec au minimum une latence d’endormissement plus longue que la normale.
Ce n’est pas le son lui-même qui rend l’acouphène difficile à supporter mais l’émotion qu’on y associe.
Selon les sujets, leur état d'anxiété et de stress, ce processus prendra de plusieurs mois à plusieurs années d’où l’importance de la prise en charge des comorbidités anxio-dépressives, souvent facteurs de pérennisation du trouble.